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Après le Japon dans le tout premier post « Livre » de cette newsletter, je vous emmène aujourd’hui en Amérique du Sud, plus précisément en Colombie.
Je ne vous ferai pas un de ces super condensé qu’on trouve en quatrième de couverture ou sur des sites spécialisés. Je vous propose autre chose, mon expérience au long de la lecture du livre Cent ans de Solitude de Gabriel Garcia Marquez.
Pendant la pandémie, comme beaucoup de monde, lasse de musique et de Netflix, j’ai pris refuge dans le monde des émissions de radios et des podcasts pour agrémenter le confinement, des promenades en forêt aux séances de repassage.
C’est donc en parcourant le portefeuille des podcasts de France Inter que je suis tombée sur une émission de littérature, ÇA NE PEUT PAS FAIRE DE MAL. Guillaume Gallienne, qui est auteur, acteur et réalisateur, a fait de superbes films audio sur certains livres. Cette émission, est malheureusement maintenant terminée mais elle reste disponible sur Radio France. Peut-être étais-je nostalgique des sketchs de comédie écoutés à la radio durant mon adolescence, j’ai tout de suite accrochée. Mais je ne parle peut-être qu’en geek de livres et de radio. Si vous avez envie de lire un livre et que vous n’avez pas le temps, vous le trouverez peut-être dans cette émission dans un format condensé, raconté, joué et commenté sous 50 min. Génie !
Je les appelle films parce que c’est l’impression qu’ils donnent, il y a des dialogues repris à l’identique par des acteurs, la narration du présentateur, des effets sonores qui rendent les livres vivants, comme au cinéma. Au début, j’ai évité les émissions sur les livres que j’avais déjà lu mais je me suis vite reprise. Enthousiasme ou ennui ? En tout cas, l’expérience entre mes lectures et le rendu fait par l’émission est différente. Je me suis aussi rendue compte que les scènes qu’il choisissait de jouer ou de raconter, quand il s’agissait des livres que j’avais lu, étaient loin d’être celles qui m’avaient marqué ou dont je me rappelais. n’étaient pas forcément les mêmes qui m’avaient touché. Comme quoi l’expérience qu’on fait d’un livre est unique. ÇA NE PEUT PAS FAIRE DE MAL est orientée littérature classique plutôt européenne et américaine, il y a quelques auteurs africains et asiatiques ici et là, c’est le seul regret que j’ai par rapport à cette émission.
MAIN COURSE
Petite promenade en forêt, je décide d’écouter l’émission réalisée sur le livre CENT ANS DE SOLITUDE, je ne connais ni le titre ni l’auteur. Le titre m’intrigue cependant, cent ans ! Est ce qu’il y a un personnage qui a vécu 100 ans et seul ? 47 min plus tard, je ne sais pas exactement quoi penser de ce que je viens d’écouter mais il devient urgent d’aller m’acheter ce livre. Aussitôt dit, aussitôt fait. Je ne le lis pourtant pas tout de suite, il a traîné un peu sur les étagères, je devais être sur autre chose à ce moment-là.
Lorsqu’enfin je m’y mets, le début me semble familier grâce au podcast. Mais ensuite, les personnages se multiplient à une vitesse de croisière, les intrigues s’entremêlent, j’ai dû mal à garder le fil des différents personnages parce que les prénoms se transmettent d’une génération à la suivante, sans que la précédente ait disparue. Le livre oscille entre le roman historique, le fantastique, le mystique, et les personnages ! Comment Gabriel Garcia Marquez a réussi à développer autant de personnages avec des histoires propres et approfondies ? Je ne sais pas mais je me régale.
Ursula et son cousin devenu son mari par la force d’un désir exprimé et interdit et d’une passion d’abord contenue puis assumée, au diable les menaces de la mère d’Ursula qui les menace d’une descendance d’enfants à queue de cochon; après avoir célébré avec faste leur union, quittent leur village la conscience lourde car José Arcadio a tué un homme l’ayant accusé d’impuissance sexuelle. Ils s’installent avec quelques amis dans une contrée sauvage autour de laquelle se bâtira peu à peu leur famille et une ville prospère. La famille est féconde et les enfants brillent par leur force physique ou leur ingéniosité. Grâce au commerce, la famille connaît une forme de fortune, ensuite la ruine, et le cycle recommence. Entre incestes, passions, jalousies, guerres, religion, alchimie, sciences, longs voyages à la recherche d’une personne pour qui on croit être fait et qu’on arrivera pourtant jamais à rendre heureuse, mort, les hommes de la famille Buendia nous offre un panorama géant de l’aventure humaine. On oscille entre incrédulité, frustration, ébahissement, peines et émois des premiers amours et périples de ceux qui durent plus longtemps.
Les femmes ne sont pas en reste. Le point d’ancrage de cette épopée est la matriarche Ursula, qui est à l’origine de tout et peut-être aussi à l’origine de la fin ? Elle voit sa famille grandir, faire la guerre, ouvrir sa maison à des personnages plus intriguant les uns que les autres. Les personnages sont trop nombreux et intéressants. J’ai été ahurie par une voyante libidineuse, fascinée par un savant gitant au tapis volant et au parchemin écrit en sanscrit. J’ai été touchée par une petite fille d’Ursula dont la beauté aurait causé le bonheur et la perte de beaucoup ; elle était pourtant bien la seule à ne pas se rendre compte de l’effet de son physique sur le monde. La façon dont elle quitte le monde serait-elle inspirée de l’Assomption de Marie dans le Bible ? Et enfin, Ursula, serait-elle la version originale de Benjamin Button ? Sans la jeunesse et l’énervante beauté de Brad Pitt certes, mais le temps a vu le corps de la brave et vaillante Ursula qui aura vu ses enfants et les enfants de ces derniers jusqu’à la sixième génération, se flétrir jusqu’à ressembler à celui d’un nourisson, « à peine plus grande que l’Enfant Jésus ». Elle aura bataillé avec la mort, on aurait dit qu’elle persistait pour voir de ses yeux, si le destin de sa famille était bien celui que sa mère lui aurait prédit et certainement aussi celui caché sous le sanscrit du parchemin de Melquiades que les hommes Buendia, les uns après les autres, auront essayé de déchiffrer.
Je l’ai emmené un weekend où j’allais rendre visite à mon ami J., originaire de Colombie, quand il l’a vu il a dit à sa fiancée, « Il faut que tu le lises ce livre, il est trop bien ». Et je suis bien d’accord avec toi mon cher ami. C’est une merveille, un chef d’œuvre qui ne manque pas de relief ni de couleurs.
Nous sommes un samedi soir, je suis dans le train, je rentre chez moi. J’en profite pour lire un peu, je suis dans les dernières pages du livre, je suis tellement absorbée par le livre que j’en perds la notion de temps et d’espace. Heureusement que ma sortie c’est le terminus, sinon j’aurai loupé mon arrêt. Je ne sais pas comment, mais sur les deux dernières pages, j’ai l’impression d’être à la place du dernier Aureliano de la lignée. Des Aureliano, il y en a eu beaucoup, la famille tenait à certains prénoms qu’elle se passait de père en fils ou en petit-fils. Pourtant, le schéma n’était pas le même pour ce qui est de la gente féminine. Était-ce une manière pour l’auteur de dire que les hommes ne sont que des itérations d’eux-mêmes d’une génération à une autre alors que les femmes viennent avec leur caractère propre, souvent bien différents voire opposés, au fil du temps ?
La scène décrit donc Aureliano en train de déchiffrer les dernières pages du parchemin de Melquiades. C’est un peu perturbant de se dire qu’on a l’impression d’être en train de faire la même chose que le personnage dans le livre, et qu’on cherche tous les deux à savoir, comment l’histoire se termine. Juste quand mon train s’arrête, je termine le dernier mot. Je suis un peu étourdie, je crois que je n’ai jamais été aussi près de Léonardo Dicaprio dans son rôle dans Inception.
Comment suis-je entrain d’haleter doucement alors que je n’ai pas fait d’effort physique? J’ai le souffle légèrement court. J’ai l’impression que le livre se déploie de nouveau dans ma tête à toute vitesse, de la fin vers le début, avec une nouvelle perspective, comme une nouvelle paire d’yeux, des scènes qui avaient l’air un peu téléportées, tout à coup, prennent un certain sens. Je me lève comme un robot et sors du train. Je me dirige vers la sortie et juste avant les portiques, je mets machinalement la main à ma droite pour récupérer mon titre de transport dans mon sac rouge en bandoulière et, saperlipopette ! Il est où mon sac ? Je l’ai oublié dans le train. Je mets une demi seconde à réaliser que, quand je me suis assisse dans le train, j’étais un peu gênée car j’avais en plus, un sac en toile dans lequel j’avais des courses. J’ai donc enlevé mon sac et l’ai posé à côté de moi pour être à l’aise.
Je cours vers le train avant qu’il ne referme ses portes, je crois retrouver la rame dans laquelle j’étais et le siège que j’occupais mais je ne trouve rien, pas de sac rouge qui traîne. Je panique, j’ai mes clés et d’autres bidules dans ce sac mais plus important, j’ai mon portefeuille avec mes documents d’identification, mes cartes bancaires, etc. Le cauchemar de devoir tout refaire. Je commence à parcourir en paniquant les rames les plus proches, il n’y a presque plus personne sur le quai. Je me reprends pour ne pas écraser une larme de dépit, je me dis que quelqu’un l’a peut-être récupéré et est allé le déposer à l’accueil de la gare, aux objets perdus/trouvés. Je descends deux à deux les marches qui mènent à l’accueil et zut ! Il y a des portiques, je ne peux pas passer, tout le monde est parti, je ne peux demander à personne la permission de passer avec elle. Je suis un peu hagarde, mon rythme cardiaque est proche du rythme d’un jogging vitaminé. Je décide, je ne sais pas pourquoi, de remonter les escaliers et repartir sur le quai du train qui est toujours en gare. Peut-être trouverai-je un chauffeur à qui un passager aurait remis un sac trouvé ? Juste quand j’émerge des escaliers, de loin, je vois une jeune femme qui tient un objet serré à elle sur le côté et un jeune homme presque collé à elle. Je ne fais pas attention et je les prends pour un couple. Arrivée à leur hauteur, je me hasarde à les regarder. Je m’apprête à leur demander s’ils ont vu le chauffeur du train. Avant même que je n’ouvre la bouche, mon regard tombe sur l’objet que la demoiselle tient serré contre elle, sous le coude. Mais, c’est mon petit sac rouge ! De choc, de soulagement, aucun son ne sort de ma bouche et je surprends mon doigt pointer le sac. Je m’entends dire :
- Mais, c’est mon sac !
La jeune femme me regarde avec doute et le jeune homme avec défi. Elle s’arrête et me dit :
- Je l’ai trouvé sur un siège en sortant du train tout à l’heure.
Je lui explique que je l’ai oublié en sortant du train, que j’ai fait quelques rames du train à sa recherche et qu’en plus je suis bloquée là parce que mon titre de transport est dedans. Elle me demande de prouver que le sac est à moi, pendant que je lui explique qu’elle peut trouver dans la poche externe mon titre de transport avec ma photo, le jeune homme s’éclipse, bizarre. Elle s’exécute et me rend mon sac, je suis presqu’au bord des larmes, de soulagement. Je lui dit mille fois merci et que je m’imaginais le pire. Je lui demande d’où elle venait puisque j’avais fait le quai tout à l’heure et il n’y avait plus personne.
- Quand j’ai trouvé le sac sur le siège du train, le monsieur qui était avec moi tout à l’heure l’avait vu aussi mais j’ai mis la main sur le sac en premier. Il m’a suivi hors du train en me disant qu’il connaissait la personne qui l’avait oublié dans le train et m’a demandé de lui donner le sac, il se chargerait de la lui rendre. Je ne l’ai pas cru et j’essayais de le questionner sur cette personne. Il m’a suivi jusqu’à la sortie et m’a demandé avec insistance de lui donner le sac. J’étais avec une amie, ni elle ni moi n’étions convaincues de son histoire, j’ai décidé de revenir sur mes pas et aller remettre le sac à l’accueil de la gare. C’est là que nous sommes tombés sur vous.
Pendant qu’elle me raconte, nous nous dirigeons vers la sortie et après avoir passé les portiques, je vois effectivement son amie qui l’attendait. Non seulement, elle a trouvé mon sac mais en plus elle l’a protégé de quelqu’un qui n’avait sûrement pas les mêmes intentions nobles qu’elle. Je me dit qu’un ange gardien veille sur moi et cet ange gardien, c’est cette jolie inconnue au teint chocolat et au regard gentil.
Je me confonds en remerciements et lui propose des pâtisseries que j’étais passée prendre à la boulangerie de Cyril Lignac, dans mes anciens quartiers. Je n’avais jamais mis les pieds dans cette boulangerie pendant les quatre années où je vivais dans le coin mais ce jour-là, je me suis dite « Allez, on se fait plaisir et on se fera une petite séance de dégustation à la maison ». La jeune demoiselle a décliné mes pâtisseries et s’en est allée avec son amie.
Merci mademoiselle, je n’ai plus votre prénom à l’esprit, mais MERCI !
Cent ans de solitude donne cette impression d’être un live un peu fou, « Unhinged » dirait nos amis américains. Je ne saurais pas dans quelle catégorie le ranger, c’est probablement ce qui fait son charme. Christian Bobin (paix à son âme) a cette phrase dans son livre La plus grande vive : «...il ne faut jamais faire de la littérature, il faut écrire, ce n’est pas pareil…». C’est l’impression que Cent ans de solitude m’a laissé, que Gabriel Garcia Marquez a écrit. Il s’est laissé porter par une histoire comme par un fleuve dont il ne maîtrisait pas tout à fait le courant. J’aime le penser en tout cas.
La dernière fois que j’ai lu un livre qui m’a laissé dans un état d’émerveillement similaire c’est l’été 2002, où j’ai lu les trois tomes des Mille et Une Nuits.
Courez le lire, à défaut, écoutez le film audio en podcast. Et si vous le lisez, évitez de le terminer dans un train.
Prenez soin de vous, et à samedi prochain !
DESSERT
· Lien du podcast sur Radio France.
· Avez-vous lu un livre qui vous a laissé une impression très forte? Racontez moi en commentaire.
· Est-ce que quelqu’un pourrait inventer une machine qui permet de repasser par la seule force de la pensée ? C’est une tannée.
Hahahaha, vraiment contaminée par l'oscillation! Savoure et montre moi aussi les pépites de 🍫 stp, j'ai faim! Merci merciii, mouah!
Cette mise en bouche est aussi particulière que les précédentes. Elle oscille au moins autant que la peinture faite du ''chef d'oeuvre'' de Gabriel Garcia Marquez entre le temps, l'espace, la fiction et la réalité de tes propres aventures. En tout cas il ne faut pas être trop affamé au risque d'engloutir la mise en bouche sans savourer les pépites de chocolats noir et blanc à l'intérieur.😍 😅 J' aurais bien aimé goûter du Cyril Lignac à la place de la demoiselle du train🥰 bienveillante😍. Merci à elle d'avoir mis un peu de piment liquide à la façon de Maman Ernestine. Autrement la dégustation est soit fade soit inmangeable comme le ragoût de pommes au piment de ma'a G😂 😂😂qui avait confondu le la tomate et le piment parmis les ingrédients deja apprêtés dans le refrigerateur. Heureusement que Maman Ernestine avait plus d'un tour dans son sac pour sauver le repas mm si par la suite ct une confrontation très rude obligé avec la prochaine ''commission''😂😂😂😂😂😂😂😂😂. Me voilà contaminé par l'oscillation🙌🏿😅.
Merci ❤️🙏🏿 et à la prochaine.